Ce désordre des idées sur la Providence et la justice s’explique naturellement. Si on ne trouve pas la vérité sur ces choses, c’est qu’on ne la cherche pas où elle est. Elle est dans l’âme. Là l’abîme se creuse entre le juste et l’injuste : là, plus forts que tous les sophismes, la satisfaction intérieure et le remords nous font sentir le frein ; là paraît une Providence qui ne flotte point, celle que la vertu espère et que le crime redoute.
Voilà ce que nous saurions, si nous habitions en nous-mêmes ; mais le monde de l’âme est désert, la vie publique est tout pour nous, la vie intérieure plus rien. Ou le flot nous saisit et nous entraîne, sans nous laisser le temps de nous reconnaître, ou nous demeurons sur le rivage, absorbés dans le magique spectacle de cet océan humain, sans regard que pour son immensité et pour les vaisseaux qui le tentent, sans rien entendre que ses murmures et ses éclats, sans rien prévoir, sans rien espérer que ses colères et ses apaisements. On veut donc être un homme public, revêtir une part de l’autorité sociale ; on veut une vaste sphère d’action. C’est ce qu’on appelle être quelque chose, ce qui signifie sans doute que si on n’est pas cela on n’est rien. Au défaut des emplois, on prend la plume et on parle à l’univers. Si cependant notre âme est un peu en désordre, quoi d’étonnant ?